SI TU M'AIMES, TU SAUTES !

Si tu m'aimes, tu sautes ! Combien de fois l'avait-il entendu, ce refrain…

Elle avait toujours besoin de preuves, comme si cela devait augmenter leur affection réciproque. Lui, pas forcément d'accord avec Pierre Reverdy*, n'avait pas besoin de ce genre de sottises, ne cherchant aucun artifice aux sentiments, l'aimant sans explication, l'aimant comme on mange quand on a faim, comme on respire, sans réfléchir.

Elle lui avait fait subir des épreuves de toutes sortes : traverser le carrefour à vélo sans s'arrêter, manger du sable, tenir l'équilibre au bord du toit. D'autres s'étaient lassés avant lui, il le savait ; mais il savait aussi qu'elle était la femme de sa vie, que le moment venu ils se marieraient. Elle voulait attendre un peu disait-elle, mais ce " un peu " lui semblait une éternité. Pour combler cette éternité, restaient les défis…

Aujourd'hui, pour que brillent les yeux de la belle, il est question, sans aucun équipement, de traverser un torrent qu'une soudaine averse a gonflé. Il n'est pas question de se défiler ni de gagner du temps. Tout l'avenir dépend de ce nouveau caprice, mais il se dit qu'il n'est pas homme à se laisser intimider par les éléments déchaînés ; plutôt mourir que de perdre la face, et l'amour de sa vie. Surtout ne pas réfléchir plus longtemps.

Il se jette dans les flots tumultueux, ne sachant comment se diriger pour atteindre son but. Il gesticule en tous sens, se battant contre la violence de l'élément liquide qui, par moments, le submerge. Il crie même malgré lui. Son cœur bat à tout rompre. Le contact de l'eau froide engourdit ses membres.

Il l'aime, donc il a sauté, pensant bientôt se noyer lorsqu'un appel inattendu lui permet de s'orienter correctement, un appel de plus en plus fort, de plus en plus pressant, la voix qu'il connaît déjà d'une ondine. Il sent qu'il est maintenant sauvé par cette voix aux mots intelligibles :

« Gaspard, arrête de sauter dans les flaques d'eau et dit au revoir à Lucille. Sa maman est là qui vient la chercher. Vous vous reverrez demain à l'école. »

Et Lucille de dire à Gaspard :

 « Flûte ! On s'amusait bien… encore un jeu qui tombe à l'eau ! »

Pierre Reverdy: Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour.