TOUJOURS LÀ

Il fait encore beau. Il fait encore beau pourtant. Je regarde le ciel, seuls quelques petits nuages blancs inoffensifs en soulignent la pureté. Si je ne frissonnais sous le souffle de la bise, je me croirais bien encore au cœur de l'été, si seulement…

Si je n'avais pas vu voltiger cette feuille qui s'est posée sur l'eau, prémices d'une autre année, éphémère vaisseau sans voile, ni rame ni gouvernail. Si je ne m'étais penché au-dessus de cette surface pour y reconnaître un visage qui me ressemble, à peine perturbé par les ridules de l'onde… mais non, la surface est lisse et ces ridules sont les miennes ;  je n'ai pas les traits du mythologique Narcisse. Novembre s'impose à moi. L'été est bel et bien passé. Bientôt les rues des villes, des villages, seront parées de guirlandes multicolores, bouquets finals des artifices de la vie. Alors, si possible, faire bonne figure ; et sans l'aide des pères Noël de pacotille accrochés aux façades, scotchés aux écrans électroniques, savoir que tout n'est pas perdu, que le cycle des existences ne s'arrête pas et qu'on y aura toujours un rôle à jouer, tous confondus : nos déjà disparus, tous ceux qui suivront, animés aujourd'hui par leurs espoir, leurs amours, leurs projets.

           J'ai marché sur la Terre. J'y marche encore vers l'horizon en pensant l'atteindre dans une heure, ou demain, enfin… plus tard. Le principal étant d'y croire pour avancer, curieux (mais pas pressé) de savoir ce qu'il y a de l'autre côté. Mon horizon m'atteindra, mon horizon temporel.

Je crois.

Je crois ce que je sens, bien plus que ce qu'on aurait voulu autrement m'inculquer. Je pense qu'il existe une force supérieure, voire une volonté dont il nous est illusoire d'espérer en percer le mystère. Dieu… Bouddha… Jéhovah… Peu m'importe. Je pense faire au mieux en attendant mon état suivant, riche que je serai d'avoir aimé ce que j'ai vu, touché, et entendu ici, riche de vous tous que j'ai croisés.

Je crois.

Je crois qu'il faudra se défaire des remords, des souvenirs trop lourds, alléger la valise pour garder le meilleur, être serein et sourire en regardant devant soi. Je ne sais pas ce que sera demain ni ce que j'y serai ; peut-être un oiseau, sa plume garnissant votre oreiller dont je connaîtrai les rêves. Je serai peut-être le caillou au bord du chemin. J'y provoquerai le pied de l'enfant pour rouler dans le lit du ruisseau. Ou bien on me verra en crabe, courant sur l'estran dans le soleil couchant. J'aurai la jupe rouge du coquelicot, agitée par le vent et rendant fou le bourdon de passage. Qu'importe, je serai toujours là, comme toi qui me lis, comme vous tous, sur ce manège, cette petite boule perdue dans l'univers, cette merveille qui demeure notre maison. Au-delà des mystiques croyances qui rassurent, c'est un fait, je serai là, dilué dans l'eau que vous boirez, évaporé dans l'air que vous respirerez, m'insinuant ainsi au plus profond de vos vies et de vos pensées.

 

J'y crois.