Ma faiblesse et ma force

MA FAIBLESSE ET MA FORCE                      26 décembre 2000

De lettres écrites à la plume, il n’en existe pas deux pareilles, comme des amours. Au fil des pleins et des déliés, le métal hésite, comme notre amour, craque et glisse sur le papier ; comme notre amour il s’essouffle parfois, avant de plonger dans le flacon de verre, comme dans un bain de jouvence. C’est vrai que j’aurais pu te téléphoner ; cela aurait été trop éphémère. J’aurais pu t’envoyer un courrier électronique via Internet ; tu aurais branché ton ordinateur personnel, alimenté par une centrale nucléaire ; ton index aurait cliqué sur une boite en plastique ; et tes yeux auraient été éblouis par l’éclat artificiel d'un écran à la surface froide ; cela aurait été tellement simple et rapide. Je préfère prendre un peu plus de temps, que tu palpes le papier, messager fidèle ; que tes yeux nus suffisent à le comprendre ; et comme le fait ma plume, que sur lui ta main glisse à son tour, te rappelant le bruissement de la peau sur la peau, et même que tu le froisses si tu veux.

Trois mois ont passé. Trois mois déjà. Trois mois seulement. J’ose croire que ce temps n’a pas été perdu, mais nécessairement gagné, depuis ce soir-là où je découvris qu’en t’ayant trompée, je m’étais trompé moi-même. Aujourd’hui je suis entre parenthèses, je suis en purgatoire, et de toi dépend mon avenir. Nous ne nous sommes pas toujours compris, et jusqu’alors, j’épiais des regards, des sourires fugitifs d’inconnues, que j’interprétais comme des promesses, pour construire avec elles des histoires d’amour imaginaires dans lesquelles une vie tenait en quelques secondes. Sans le savoir, je voyais ces passantes du poète Antoine Pol, aux vers si bien interprétés par Georges Brassens. C’était ma façon de canaliser mes pulsions, d’exorciser mes démons. J’estimais que c’était mon droit, ma façon de rester vivant pour t’aimer encore mieux après. Alors, bien sûr, pardon ; bien sûr, elle n’avait pas d’importance pour moi, et ne cherchait pas à en avoir ; pardon d’avoir confondu la fin avec les moyens, d’avoir pris des apparences pour la réalité ; pardon d’être maladroit, d’une maladresse qui fait de nous deux victimes.

Un geste, un souffle de toi suffirait à balayer mon erreur comme un fétu de paille. Je ne cherchais pas la guerre, mais je l’ai méritée, et contre mes utopies c’est ensemble que nous l’avons perdue ; pourtant as-tu déjà remarqué comment les peuples et les pays se redressent souvent à l’issue des conflits, plus forts et meilleurs, et ce qu’ils reconstruisent ? Maintenant, si nous faisions ce voyage qui nous tenait à cœur ? Comme la plume porte l’oiseau par les monts et les vaux, la mienne pourrait nous emmener bien au-delà des mots, pour ce séjour que je t’ai offert tant de fois, que tu mérites plus encore, et que tant de fois ne fut qu’imaginaire. J’aimerais autant que je t’aime, te conduire de l’autre côté des poissons, vers cette autre France, où l’on tombe encore en amour.

A quoi me serviraient les plus beaux paysages s’ils n’étaient épousés par nos regards croisés ? A quoi me serviraient, des autres les paroles, ou encore les musiques, si tu ne les entendais ? Quelques kilomètres nous séparent, nous sommes si proches, et si loin à la fois, séparés par tant de murs, si épais et si sourds quand la finesse d’un voile serait déjà de trop, quand je voudrais disparaître en toi, m’y diluer dans une extase d’éternité.

Tu es ma faiblesse, ma force, et je t’attends.