L'autre côté du mur (Lettre à léa)

 

L’AUTRE CÔTÉ DU MUR

On m’avait dit que tu allais venir, mais si vite… je n’étais pas prêt.

Pour ton arrivée, j’ai dû enfiler en vitesse un costume trop grand pour moi : je n’ai pas aimé mon reflet dans la glace. Je voulais être beau, être parfait pour toi. Les autres acteurs semblaient connaître leurs rôles respectifs et j’étais (une fois de plus) désemparé ; comme cet être extra-terrestre qui ne voulait rien d’autre que retourner en arrière, où tout est connu - E.T… Téléphone… Maison… - Je ne suis pas un aventurier, je n’y peux rien ; et malgré toi, tu m’as embarqué dans cette aventure.

D’abord, tes yeux m’ont dit que ça n’était pas si compliqué, que c’était comme apprendre à nager ou à rouler à vélo ; que la première chose à faire était de vaincre l’appréhension. Puis tes prunelles bleues m’ont expliqué que les miroirs sont parfois déformants et qu’on peut bien s’en passer. Ton visage face au mien m’a enfin raconté une histoire possible : celle éternelle d’un enfant qui prend l’adulte par la main pour le guider dans sa nouvelle aventure, sa nouvelle vie de grand-père…

Le passage quotidien du facteur est guetté comme un élément majeur de la journée… et se transforme quotidiennement en un non-événement : un courrier recommandé doit arriver, expéditeur : Tribunal de grande instance de Lille, affaires familiales, réf. 06/XXXXX. Qui aurait pensé que tu serais au centre d’une " affaire "… Pas toi, ma toute petite, fruit d'un amour éphémère. Pas toi, mon bout de chou dont quelques jouets inutiles me rappellent ta dernière visite, miettes de toi.

Quand le mur s'entrouvrira-t-il de nouveau pour te laisser passer, pour quelques heures précieuses, dans notre monde ? Qu'auront décidé les gens aux robes noir de jais ? Ont-ils au moins vu une photo de toi, pour l'associer à ton nom, qui est aussi le mien ? Savent-ils seulement quelle peluche tu préfères pour t'endormir, et à quel autre jouet tu parles en pensée ? Certes non… affaire suivante.

Et moi, en attendant, en t'attendant, qu'est ce que je dois faire de cet amour qui m'habillait si mal au départ ? J'ai beau essayer de le ranger dans mes armoires, mes tiroirs, dans mes poches, mes placards ; il déborde et fuit de partout. C'est le foutoir ; il ne veut pas être programmé.

Quand le temps est trop long, je finis par croire que tu es un mirage, que je t'ai rêvée ; mais la honte aussitôt provoquée par cette pensée me rappelle ton existence obstinée, de l'autre côté de cette immense muraille d'incompréhension.

Vole, vole, mon petit cerf-volant par-dessus les nuages, mais que personne jamais ne rompe le lien ténu et si fort à la fois par qui tu peux voler et que des vents contraires me font sans cesse dévider.